https://dokumen.pub/etre-approches-de-la-non-dualite-9782351181737-9782351181966.html
Pouvez-vous nous parler de la perspective objective et de ses rapports avec la joie non duelle ?

Pour pouvoir situer l’expérience, il me semble indispensable d’analyser fondamentalement l’objet qui est pris par erreur comme pouvant contenir la paix et la suffisance. Si nous examinons un objet, nous pouvons constater qu’il n’est rien au fond que sensorialité, sensation. Sans celle-ci : vision, audition, toucher, etc., il n’y a pas d’objet. Sur cette sensation, nous surimposons une idée de l’objet, c’est-à-dire qu’un objet est uniquement là quand il est pensé, il est concept. Quand ceci est véritablement, profondément compris : qu’un objet n’est rien d’autre que sensation, idée, et que notre vision précédente nous a montré que l’objet ne contient pas ce que nous cherchons, que se passe-t-il ? Il y a une élimination qui se fait. La sensation s’élimine parce qu’elle ne contient pas ce que je désire profondément, pas plus qu’elle ne contient ce que je cherche. Nous n’éliminons pas pensée et sensation, mais elles s’éliminent de nous. Les choses se détachent de nous, elles se détachent de nous comme un fruit mûr se détache de la branche.
Ne serait-il pas mieux, plutôt que de saisir les objets qui ne contiennent pas ce que je cherche, de les refuser ?
Les deux procédés sont la même chose : refuser ou saisir, c’est la même chose, ces deux démarches conduisent à un conflit nouveau. Il existe un état sans désir. Quand vous ne cherchez plus à compenser, il y a un état de non-désir, il y a suffisance.
Il ne s’agit pas ici de refuser l’objet, l’objet vous apparaît alors comme quelque chose qui ne contient pas ce que vous cherchez. S’il y a un endroit où vous pensez avoir mis quelque chose, vous fouillez et constatez que la chose n’est pas là. Alors vous recommencez encore, vous fouillez à nouveau, peut-être deux ou trois fois, vous y revenez. À un moment donné, vous avez fouillé effectivement partout, et vous n’avez pas trouvé l’objet. Que se passe-t-il à ce moment-là ? C’est le lieu qui vous quitte en tant que contenant l’objet. Vous ne quittez pas le lieu. De la même manière, l’objet vous quitte. C’est un processus complètement organique. Si cette élimination a été pleinement accomplie, dès que la soustraction a été faite minutieusement, que rien n’a été omis, qu’il ne reste aucun résidu, à ce moment-là nous sommes renvoyés à nous-même, à ce que nous sommes essentiellement, dans un état de solitude, de silence dans lequel on s’éveille. Cet état de silence, cette attention silencieuse, cette attention pure, est, si je peux m’exprimer ainsi, une attention à l’attention. Elle est dégagée de toute conception de durée, de volume, temps et espace, et, en fait, ce siège de la Conscience, ce noyau, cet axe de gravité de notre être autour duquel la personnalité s’est greffée, contient notre Véritable Nature, laquelle est au-delà de tout conditionnement, et c’est la seule voie. C’est uniquement de ce point de vue que nous pouvons réguler notre nature corporelle, psychique, mentale. Si d’autres tentatives de déconditionnement sont entreprises par une approche psychologique, nous restons toujours dans le cercle vicieux. Il y a déplacement de certaines énergies qui se sont localisées et fixées. Nous les déplaçons d’un point à un autre mais nous ne les libérons pas. C’est uniquement l’ultime régulateur, c’est-à-dire la Conscience, la Non-Personnalité, qui est capable de déconditionner notre nature biologique, affective, mentale.
Dans quel sens employez-vous ce terme : l’ultime régulateur, c’est-à-dire la Conscience ?
Nous occupons par habitude le point de vue de ce qu’on peut appeler la personnalité, l’ego. De ce point de vue là, nous sommes dans un état de choix constant, nous choisissons l’agréable, nous évitons le désagréable, nous cherchons la sympathie, nous évitons l’antipathie. On pourrait dire que le corps et toute la structure qu’il contient, et qui représente notre personnalité, sont orchestrés en fonction de cet ego. Celui-ci exploite le corps, la pensée, et le psychisme, il intervient dans la démarche naturelle de la pensée, du corps. Inutile de dire qu’à partir du point de vue où nous nous plaçons, celui de la personnalité, nous employons uniquement un fragment de nos virtualités, notre cérébralité utilise à peu près un tiers de ce dont nous sommes capables. Si ceci est constaté, c’est-à-dire, si au moment où nous objectivons cette personnalité, nous nous situons spontanément en dehors d’elle, nous nous plaçons comme étant celui qui la perçoit, nous pouvons dire que nous occupons désormais un état impersonnel. Cette non-personnalité est l’essence,
est la source de la personnalité, mais elle n’exploite pas, comme le fait l’ego, le corps, le mental, la pensée. Nous nous plaçons au point de vue transpersonnel, toute la personnalité trouve une intégration dans cette non-personnalité. Elle y trouve sa source, elle y trouve effectivement son centre de gravité. C’est dans ce sens que l’on peut parler alors de régulateur, pas dans un sens actif ; il agit par sa simple présence. Du point de vue de cette non-personnalité, qu’on peut aussi appeler la position du non-choix, le choix se fait spontanément, mais nous ne choisissons pas. Cette position est éminemment morale, éthique, esthétique et fonctionnelle. Ce choix est forcément toujours adéquat à toutes les situations. Il n’a pas besoin d’être contrôlé et c’est à ce moment-là seulement que le corps et le mental trouvent leur liberté et leurs possibilités illimitées. Mais la non-personnalité, la conscience, n’intervient pas comme un régulateur actif, celle-ci joue le rôle d’un régulateur par sa simple présence, et non par un dynamisme orienté.
C’est donc seulement par la vision juste de la nature des objets que je verrai les choses changer, sans moi ?
Oui, nous utilisons le mot changer. En fait, la non-personnalité se fait sentir sans dynamisme, et absolument indépendamment de toute volonté ; on peut lui donner le nom de Grâce. Cette démarche d’élimination, ce discernement sont toujours accompagnés par l’apparition de la Grâce, par un changement. Celui-ci intervient toujours indépendamment de nous. Dès l’instant où nous voulons changer, nous employons des résidus du passé, de nous-mêmes, nous ne pouvons pas changer, le vrai changement est un inconnu. Vouloir changer veut dire projeter, imposer un inconnu à un inconnu. Nous le faisons très souvent et nous tournons en rond en créant des conflits. C’est toujours par un effet de la Grâce que l’inconnu devient connu. C’est un résultat, celui qui découle d’avoir compris profondément quelque chose. Pour employer une certaine analogie, quand vous prenez le cordon de votre robe de chambre pour un serpent, vous êtes effrayé, vous ressentez une immense terreur, et c’est en scrutant la nature de ce serpent que vous ne verrez en lui qu’un cordon. Que se passe-t-il à ce moment-là ? Toute votre anxiété, toute votre terreur vous quitte, elle meurt d’elle-même. Dès l’instant où vous avez compris quelque chose et que vous ne conceptualisez pas cette compréhension, la compréhension est silence, et celui-ci est le changement. Il y a résorption du problème, fin de la dualité.